Le musée Bourdelle décroche le 2e prix de La Reliure du Limousin

19 Juin 2025

Le second lauréat du prix La Reliure du Limousin a été décerné au cours de la dernière édition du Salon du Patrimoine. Il s’agit d’un recueil de cantiques danois imprimé en 1722 légué au musée Bourdelle par Michel Dufet, le gendre du sculpteur Emile Antoine Bourdelle.
Préservation du cantique danois de 1722 par La Reliure du Limousin

Un ouvrage à l’état contrasté

Imprimé sur papier vergé en caractères gothiques, le corps d’ouvrage de cet ouvrage intitulé « Den Forordneke Kirfe Psalmebog » est constitué de 420 feuillets très poussiéreux, ayant probablement subi des dégradations des suites d’un incendie comme en témoignent les salissures et le dépôt de suie présent sur les tranches. De nombreux coins sont écornés et l’on remarque quelques lacunes en gouttière, dues à l’oxydation du fermoir en contact avec le papier. En raison d’un dos rétracté et incurvé, les premiers et derniers cahiers sont ouverts au niveau des fonds, et les cahiers centraux sont quelques peu ébréchés au niveau des bords. Malgré ces détériorations, le corps d’ouvrage reste dans un état globalement bon – de fait, un démontage total ne sera pas nécessaire au moment de la restauration.
État initial du cantique danois de 1722 avec traces de suie et coins endommagés
Deux particularités attirent toutefois notre attention : une double pagination inexpliquée et des gardes manquantes, dont on observe les vestiges sous forme d’onglet.

L’absence de ces dernières révèlent donc les ais de bois de la reliure. Celle-ci, de type médiéval, est constituée d’une pleine peau brune marquée par des pièces métalliques en lieu et place de cabochons, à savoir aux angles et aux centres des plats. L’ombilic (l’élément central) du plat avant comporte la date « 1799 », date potentielle de la reliure. Contrairement au corps d’ouvrage, son état de conservation est mauvais : des auréoles d’humidité ont entraîné une décoloration et un décollement partiel du cuir, les pointes fixant les pièces métalliques centrales s’oxydent, les tranchefiles manquent à l’appel et le dos est complètement craquelé. Si la reliure était originellement rattachée au corps d’ouvrage à l’aide de ficelles collées sur les ais de bois, celles-ci sont rompues au niveau du mors avant, et le cuir décollé du corps d’ouvrage présente une fente à ce niveau. Les fermoirs en gouttière ont disparu, ne laissant pour trace que leur oxydation sur la tranche.

Détails de la reliure ancienne du cantique danois montrant les ais de bois exposés

Une restauration sans démontage des cahiers

Après un démontage soigneux de la reliure, l’ouvrage est entièrement nettoyé à l’aide de pinceaux à poils doux ainsi que de gommes non abrasives pour les bords de feuillets. Les résidus de colle persistants au dos sont retirés.

Compte tenu de la double foliotation déjà présente, notre restauratrice peut intervenir sans ajouter un nouveau numéro sur chaque feuillet et finit de désolidariser les cahiers aux coutures et aux fonds rompus sans crainte de mélanger l’ordre des feuilles. Celles-ci sont ensuite doublées en papier japonais de 3.5 gr, tandis que les lacunes sont comblées avec du papier japonais de 29 gr. L’intégralité du processus est réalisé à l’aide de Klucel G, qui est une colle à la fois neutre et réversible, comme le préconisent les autorités en matière de restauration papetière (Archives de France, ECCO).

Procédé de restauration papetière avec comblage manuel du recueil Den Forordnede Kirke Psalmebog

Les défis de la numérisation

À l’instar d’autres documents restaurés dans notre atelier, ce recueil est numérisé en 600 dpi après l’étape de la restauration du corps d’ouvrage et avant la couture. Toutefois, cette tâche se révèle relativement difficile en raison du choix de ne pas démonter le livre – ce qui rend parfois inaccessibles les écritures en fond de cahier. Notre équipe de numérisation doit donc faire preuve d’ingéniosité et de patience en numérisant sur Copybook ce registre pas comme les autres. Parmi les adaptations techniques adaptations techniques adoptées, des intercalaires neutres sont insérés entre les feuillets pour éviter les ombres restantes et les défauts de prise de vue.

Une reliure à remettre à neuf

Renforcement des supports de couture du cantique danois avec ficelle de chanvre
Une fois l’ouvrage ramené en atelier de restauration, les supports de couture sont doublés à l’aide d’une ficelle de chanvre fine qui est maintenue sur les nerfs d’origine à l’aide d’un tissage au fil de lin passé entre le nerf et les dos des cahiers. Grâce à cette consolidation, les cahiers détachés peuvent être recousu au corps d’ouvrage.
Recouture des cahiers détachés du cantique danois de 1722
À la suite de cette étape-clé, l’ouvrage est installé dans un étau afin de procéder à sa ré-arrondissure, une étape nécessaire pour redonner sa forme d’origine à l’ouvrage. Le dos est alors enduit de méthylcellulose, afin de le rassouplir, puis remis en forme manuellement, et ce processus est répété jusqu’à obtention d’un bel arrondi.
Réarrondissure du dos du cantique danois de 1722 en atelier
Compte tenu de la structure du livre, ainsi que de la couture serrée, une apprêture est réalisée : un papier japonais de 65 gr est ajouté entre les supports de couture afin de garantir une forme pérenne du dos. Cet ajout de matière permet également de dresser une « frontière » entre le cuir de la reliure et le corps d’ouvrage, et de mieux protéger ce dernier.
Ajout de papier japonais pour renforcer le dos du recueil de cantiques danois de 1722
Le cuir de la reliure est ensuite nettoyé, traité et ciré. Toutefois, il est nécessaire de « l’ouvrir », c’est-à-dire de détacher le dos des plats, car l’ouvrage a regagné en volume au cours des différentes opérations. Il ne rentre donc plus dans sa couverture d’origine.

Afin de reconstruire la reliure, il est nécessaire d’ajouter un cuir de restauration, du veau teinté, que notre restauratrice doit fixer sur les ais de bois. Les cornières côté dos bloquent toutefois l’accès ; il est décidé de les retirer. Malgré leurs apparences, nous avons la surprise de découvrir que celles-ci ne sont pas clouées aux ais, comme l’ombilic, mais simplement encastrées. Une fois l’ajout de cuir effectué, il suffit donc de les remettre à leur place exacte afin de garantir leur bon maintien.

Les nerfs présents sur le dos du corps d’ouvrage sont ensuite sertis sur le cuir de restauration, puis le dos d’origine ainsi que les charnières sont recollés à l’identique à la colle d’amidon.

Sertissage des nerfs sur le cuir de restauration la reliure du recueil de cantiques danois de 1722
Ajout de cuir de veau teinté sur la reliure du cantique danois de 1722
Recollage du dos d’origine sur la nouvelle reliure du livre ancien danois
Les diverses pièces disparues n’étant pas recréées, aucun fermoir, aucune tranchefile et aucune garde n’a été ajouté. Pour cette raison, il est encore possible de voir le bois des ais lorsque l’on ouvre le livre.

L’écrin final

Confection manuelle de la boîte protectrice pour le recueil Den Forordnede Kirke Psalmebog
Afin de protéger cet ouvrage, une boîte avec couvercle solidaire a été créée sur mesure. Véritable écrin, elle se compose de carton neutre, de toile Buckram brune et d’une peau retournée camel sur l’intérieur, au niveau des plats. Ainsi conservé, le recueil cantique danois pourra traverser les époques.
Boîte de conservation sur mesure pour le cantique danois de 1722
Recueil de cantiques danois de 1722 restauré et conservé
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